Kure : le parfum de l’aventure

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掲載日:2025年12月11日

 

Kure : le parfum de laventure

 entre Honshu, Shikoku et Kyushu, la prefecture de Kure est une enigme, un joyau discret loin des circuits touristiques classiques. Pour qui accepte de quitter les sentiers battus, la region offre un parfum daventure singulier, melant echappees a velo, plaisirs culinaires, artisanat traditionnel et couchers de soleil sur la cote. Comme un parfum rare, Kure sapprecie pleinement lorsque lon prend le temps de respirer chacune de ses notes.

 

Note de tete : explorer les iles a velo

Depuis Hiroshima, on atteint Kawajiri en environ une heure de train. Cest la que debute laventure : la route cyclable du Tobishima Kaidō mene jusqua Imabari. Cinq iles reliees entre elles et au continent par des ponts dessinent un itineraire inattendu : une ligne bleue au sol pour guider les cyclistes, presque aucune voiture, le contraste eclatant des agrumes

orange face a la mer turquoise, lodeur du vent sale. Bienvenue dans un autre monde.Takao Saitō, guide experimente, partage son savoir avec une passion tranquille. Il raconte comment le developpement des transports a metamorphose les petits ports du parcours. Onavance a un rythme doux, absorbant tout : le bruit des vagues, le cliquetis du pedalier.

Apres quelques coups de pedale assures, Mitarai apparait comme suspendue hors du temps. Le Shintoyo Guesthouse y accueille les voyageurs fatigues avec un mélange singulier de charme et de retenue. Akira Inoue, son proprietaire, a passe quinze ans a restaurer des batiments centenaires, sans jamais en trahir lame. Cest epoustouflant, mais ce nest ni ostentatoire ni cher. Je ne peux comparer ca a rien dautre dans lhistoire, confie-t-il. Cest vraiment inestimable. Cette philosophie de restauration respectueuse du passe a dailleurs attire le cinema : la maison dhotes a servi de decor au film prime Drive My Car.

Le soir venu, on peut se détendre au sauna Shinchibana, vestige de l’ère Meiji récemment

rénové. La chaleur boisée et résineuse de ce lieu historique offre une expérience unique,

une suspension du temps, une immersion dans un passé intact.

 

Note de coeur : sel marin et saveurs iodees

On met ensuite le cap sur lile voisine dOsakikamijima, reputee pour ses huitres et ses crevettes, qui ont forge la renommee culinaire de la region.

Suzuki Takashi nous accueille a Farm Suzuki avec une chaleur simple. Inspire par les pratiques observees en Australie et en France, il raconte avec patience les secrets de son metier : pourquoi certaines huitres forment une coquille plus epaisse, comment la circulation de leau stimule la croissance, ou encore comment les paniers sont remontes pour trier les tailles. Chaque geste temoigne dune connaissance intime de son environnement.

Particularite etonnante : Suzuki eleve a la fois les huitres francaises CLAIRE, appreciees pour leur finesse, et les crevettes tigrees rayees. Et il le fait dans un milieu unique ou se melent les eaux de montagne et les eaux marines. Une forme de conversation entre continents, un croisement dapproches qui insuffle de linnovation et de la fraicheur a ce coin du Japon.

À la dégustation, les produits expriment une chair généreuse et une note iodée précise : crevettes d’une tendreté rare, huîtres crues et sel maison. La passion de Suzuki-san est communicative. « Je pense que les Français peuvent sentir ce parfum japonais particulier dès l'arrivée », dit-il. « Quand j’ouvre un container d’huîtres françaises, ça sent la France. Ça me rend un peu heureux. » Une remarque poétique qui révèle une vérité simple : chaque lieu a son empreinte sensorielle, et ce sont les influences croisées, respectueuses, qui la maintiennent vivante.

 

des l'arrivee , dit-il. Quand jouvre un container dhuitres francaises, ca sent la France. Ca

me rend un peu heureux. Une remarque poetique qui revele une verite simple : chaque

lieu a son empreinte sensorielle, et ce sont les influences croisees, respectueuses, qui la

maintiennent vivante.

Note de fond : la transmission des savoirs

Le retour sur le continent invite au recul. On rejoint Akitsu en longeant de petites routes

cotieres.

La brasserie historique Tsuka Shuzō, fondee en 1848, est desormais dirigee par Soichiro Tsuka. Des lentree dans le batiment ancien, un parfum caracteristique enveloppe les visiteurs : riz fermente, kōji et bois vieilli. Soichiro raconte les etapes du brassage du sake,un savoir distille au fil des siecles. Du polissage du riz a la fermentation lente, chaque phase incarne un heritage vivant.

Lalcool possede une douceur evolutive, comme un parfum qui change au contact de la peau.

Le voyage sacheve a Takehara, ou lon sinitie au travail du bambou. Dans un atelier simple, on apprend a manipuler les fibres, a utiliser les outils, a sentir la resistance du materiau. Le geste devient meditatif. On realise alors que meme les actions les plus modestes contiennent un savoir transmis depuis des generations. On napprend pas seulement : on se souvient de quelque chose inscrit profondement.

 

Le parfum complet

La remarque de Suzuki-san sur lodeur du Japon reste en tete, tant elle resume lexperience que lon peut vivre a Kure.

Un sejour a Tokyo ou a Kyoto marque par son energie, ses neons, ses temples, ses salles de pachinko. Mais ce nest pas tout le Japon. Kure, elle, offre un visage different. Ses paysages, son histoire, la patience de ses producteurs, son hospitalite subtile, la transmission des savoirs, la complexite de son sake : tout y compose une identite propre. On y percoit une philosophie : ichigo ichie, lart dapprecier le moment present et les

rencontres.

 

Kure ne cherche pas a eblouir. Elle montre plutot un Japon plus juste, plus authentique. Un Japon reel, que lon redecouvre a chaque souvenir, et auquel on revient.

 

 

 

Un autre visage d’Hiroshima : artisanat, croisières et histoire cachée

Hiroshima porte un lourd héritage. Dès que son nom résonne, les images affluent : le 6 août 1945 et tout ce qui a suivi. Une histoire que nous connaissons, une cicatrice que nous respectons.
Mais il existe une autre Hiroshima, qui vit discrètement, à seulement quelques arrêts de train de là. Au-delà des lieux mémoriels et de la gravité de son passé, c’est une ville qui continue de créer, de respirer et de se réinventer.

 

Tenir un savoir ancestral entre vos mains

À trente minutes en voiture de la gare d’Hiroshima se trouve Fude-no-sato, un atelier traditionnel de fabrication de pinceaux où les artisans se consacrent entièrement au présent, à la recherche du mélange parfait de poils de cheval et de chèvre.

Poussez la porte, et vous découvrirez une boutique fascinante, débordante de pinceaux en tous genres : pinceaux de peinture, pinceaux de calligraphie, applicateurs de maquillage et bien d’autres encore, chacun offrant une palette infinie de couleurs et de formes.
En descendant à l’étage inférieur, vous trouverez des espaces interactifs pour explorer l’histoire riche de ces outils. Au centre, un trésor rare : le plus grand pinceau du monde.

Terminez la visite dans l’atelier, où la minutie du geste artisanal vous captivera. Un maître artisan vous guidera à travers les douze étapes complexes nécessaires pour concevoir ces objets d’une finesse remarquable.

Tout commence par ce qui semble être une tâche simple : choisir les bons poils. En réalité, un artisan expérimenté peut passer des heures à trier des dizaines d’échantillons : poils de cheval, poils du poitrail ou des flancs de chèvre, chacun possédant sa texture et sa capacité unique à absorber l’encre.
Le cheval offre souplesse et élasticité ; la chèvre retient mieux l’encre mais manque de fermeté. L’art réside dans le mélange précis de ces fibres. Une mauvaise proportion, et le pinceau ne tracera pas plus de cinq caractères avant de sécher. Trouvez l’équilibre parfait, et il pourra remplir des pages entières.

À l’aide d’un couteau à bout émoussé, l’artisan retire les fibres tordues ou abîmées, comme on tamise du sable. Le cœur du pinceau prend forme, puis est enduit de funori, une colle d’algues, pour redresser les poils. Le mouvement fluide de l’artisan hypnotise.

Vous pouvez tenter d’apporter la touche finale à un pinceau, mais ne vous attendez pas à devenir expert du jour au lendemain. Votre maître vous expliquera sans doute qu’il faut au moins trois mois pour que vos mains assimilent un seul mouvement.
Mais nul besoin de maîtriser la tension du fil ou l’alignement parfait des poils pour saisir la profondeur de l’expérience.

 

Redécouvrir une beauté familière

Vous avez sans doute déjà vu la célèbre photo : le grand torii rouge de Miyajima se dressant dans l’eau, parfaitement cadré. L’un des symboles les plus connus du Japon… et aussi l’un des lieux les plus fréquentés, avec des milliers de visiteurs tentant de reproduire la même image.

Et si vous l’approchiez depuis la mer ?

Imaginez un bateau privé quittant un petit embarcadère paisible à Hatsukaichi. Pas d’horaires fixes. Pas de groupes bruyants. Juste votre embarcation, votre rythme, votre trajectoire.
En glissant sur l’eau, le torii de Miyajima s’impose sous un autre angle : non plus une image à deux dimensions, mais une structure monumentale que vous pouvez admirer sous des perspectives que la plupart des visiteurs ne verront jamais. Les rayons du soleil dansent sur la surface, changeant à chaque instant.

Cette géographie oubliée par beaucoup est composée de 138 îles disséminées dans les eaux d’Hiroshima. Aller de Miyajima à Etajima en voiture ? Plus de deux heures. Par la mer ? Quinze minutes.

Vous passez facilement de petits villages de pêcheurs à des temples côtiers, de plages secrètes à des ports tranquilles. La mer devient un pont, pas une barrière.
Les bateaux accueillent des groupes de deux à dix personnes. Beaucoup emportent de quoi manger, transformant la traversée en un moment intime : un repas partagé alors que le paysage défile autour de vous.

Depuis l’eau, tout change : les nuances de lumière, la personnalité propre de chaque île, la sensation de rythme lorsqu’on traverse un paysage au lieu de simplement le contourner en voiture.

 

Quand l’histoire respire encore

À quinze minutes de train de la gare d’Hiroshima, vous pouvez remonter le temps de plusieurs siècles.

La ville de Kaita prospérait à l’époque d’Edo comme étape incontournable du Saigoku Kaido, l’ancienne route reliant la capitale à Kyushu. Des samouraïs s’y arrêtaient. Des officiels y passaient. La vie japonaise y battait son plein pendant des générations.
Puis, en 1945, la plupart des bâtiments historiques d’Hiroshima ont disparu.

Mais la résidence de la famille Chiba a survécu. En poussant ses lourdes portes de bois, l’air change instantanément. Vous sentez le tatami ancien, le bois patiné, la légère humidité d’un lieu qui a abrité des vies pendant des générations.

Vous marchez sur les mêmes planches que les samouraïs en route vers Edo. Vous observez l’endroit où les fonctionnaires manipulaient des documents officiels. Vous vous tenez dans les pièces où des familles ordinaires partageaient leurs repas, décennie après décennie, siècle après siècle.

Le jardin visible depuis la pièce principale raconte son histoire à travers les saisons : le cerisier de montagne qui fleurit en mars, les azalées éclatantes du printemps, les teintes bordeaux et dorées de l’automne, et en hiver, la neige qui se dépose délicatement sur les pierres centenaires.
C’est l’essence même de l’esthétique japonaise : la beauté réside dans l’impermanence.

Voilà ce qui a survécu à la bombe : non pas un bâtiment célèbre, mais un lieu préservé parce que des mains ont choisi de le garder vivant. Et maintenant, vous êtes là, à respirer le même air, à marcher sur les mêmes planches. Une expérience véritablement magique.

Pour terminer la journée, rendez-vous à Bayside Beach Saka, à seulement trente minutes du centre d’Hiroshima. Cette étendue sableuse de 1 200 mètres longe la Route nationale 31 et constitue la plage la plus proche de la ville.

Ici, pas de foule compacte. Vous pouvez simplement choisir votre coin de sable et regarder le soleil descendre, colorant l’eau d’ambre, de rose et de violet.
Un coucher de soleil qui suspend le temps. Qui rappelle pourquoi l’humanité s’est toujours tournée vers la mer quand la lumière change. Pas de monuments, pas de billets, pas d’explications.
Juste vous, la plage et le spectacle du monde.

Un trajet de 30 minutes, cinq minutes de train ou un bateau bien choisi : c’est tout ce qu’il faut pour changer complètement votre relation à Hiroshima.

Car ici, la ville continue de créer.
Des maîtres artisans transmettent leur savoir.
Des capitaines naviguent entre les îles.
Des familles ouvrent les portes d’une maison vieille de 250 ans parce qu’elles croient que son histoire mérite d’être partagée.

Et en étant là, vous devenez un fragment de cette histoire en mouvement. Une Hiroshima qui refuse d’être confinée au passé, et qui continue d’exister au présent.

 

 

Par Isabelle VanSteenkiste, journaliste.